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au grés de mes envies
9 février 2013

INTERVIEW THOM YORKE

Thom Yorke revient avec le premier album de son super-groupe Atoms for Peace : il nous a accordé une longue interview, retranscrite en intégralité, où il nous explique tout.

Comment te sens-tu ?
Thom Yorke : Bien. Il se passe beaucoup de choses pour moi en ce moment, et c’est quelque chose que j’aime. Nous sommes par exemple en train de préparer une sorte de set DJ autour de l’album d’Atoms for Peace avec Nigel Godrich ; c’est normalement quelque chose de simple, mais on tente une formule particulière. On déconstruit les morceaux, on en extrait les constituants, on les rejoue ; on les remixe en direct, avec mon chant. C’est très ambitieux pour nous : le matériel qu’on utilise aurait éventuellement pu être simplement mis en place, mais ce n’est finalement pas le cas, c’est typique de moi, je vise toujours trop haut… Ca prend donc du temps à préparer. (rires)

Et comment te sens-tu par rapport à Amok ?
J’en suis au point où je l’ai trop écouté. C’est marrant, parce que quand j’ai publié The Eraser, j’ai eu l’impression que tout s’était déroulé à une vitesse incroyable, j’ai travaillé sur des morceaux et, soudainement, j’ai fini par avoir un album… Ca a un peu le cas, au départ, pour Amok, mais sur la fin nous avons passé beaucoup plus de temps dessus. Le processus a en permanence été interrompu par ce qui se passait avec Radiohead, il a donc fallu se concentrer un peu plus dès qu’on a eu le temps de le faire. Le processus a été un peu différent. Mais je suis content. Je suis content, mais, comme d’habitude, j’ai déjà hâte de me mettre à travailler sur autre chose…

Tu as la bougeotte… Il t’est impossible de t’arrêter ?
Ca dépend des périodes. Je suis dans une période de ma vie où j’ai besoin de toutes ces activités. Pour être sincère, la fin de la tournée de Radiohead a été un moment très excitant, j’ai très vite enchaîné, et je suis content de ce que je fais en ce moment ; je pense être à un moment intéressant de ma vie. Ca durera le temps que ça durera, et ça finira par ralentir. Ca peut devenir assez stressant, d’une certaine manière : le lendemain de la fin de la tournée, littéralement le lendemain, je rentrais d’Australie mais je me remettais immédiatement à bosser sur Atoms for Peace… Je suis tellement occupé que ça en devient parfois ridicule.

Est-ce que cette suractivité peut venir du fait que tu prends de l’âge, que tu veux de plus en plus laisser une trace, profiter du temps qu’il te reste ?
Oui, peut-être. Le sentiment grandissant que notre temps sur terre est limité. Mais j’ai toujours ressenti ça, dès le départ. Au moins un peu. Me retrouver dans ce nouveau projet est aussi un moyen de me stimuler. Je ne sais pas. Je suis ma voie, quelle qu’elle soit.

Tu as toujours été politiquement actif, tu as toujours essayé d’élever les consciences des gens qui t’écoutent, sur l’environnement mais pas uniquement : que penses-tu du monde tel qu’il est aujourd’hui, en 2013 ?
Je trouve stressant et douloureux que les premiers coupables de la crise, du crash, les banques, les banquiers, les institutions internationales n’aient finalement pas subi les conséquences de leur responsabilité. Je trouve profondément énervant que la Grèce et que l’Espagne paient le coût de tout ceci ; l’Union Européenne préfère mettre les deux pays, les deux peuples à genou plutôt que d’examiner véritablement les problèmes que posent le système financier international. Certaines des banques les plus influentes, certains lobbies ont fait pression sur l’UE pour qu’elles ne soient aucunement pénalisées par la crise -et pour que les deux pays en question en paient le prix. Simplement pour que les traders ne perdent pas leurs bonus… Si l’UE préfère protéger ses traders que ses populations… Il y a tout de même quelque chose d’intéressant : un courant radical au sein des universités et think tanks d’économie, qui essaie de réécrire les choses. Tout ceci va bien au-delà des vieux clivages gauche-droite, ils sont morts, partout, les politiques ne sont plus au pouvoir pour changer les choses, ni la gauche ni la droite n’osera s’attaquer au cœur du problème, à savoir comment bâtir un nouveau système économique qui soit durable.

Mais qui, alors, peut le faire ?
Qui peut le faire ? Il est de toute façon impossible d’entrer en politique sans signer ce contrat tacite qui dit que tu n’auras pas le droit de questionner les arguments les plus fondamentaux… Peut-être les changements viendront-ils de ces mouvements de pensées alternatifs qui naissent chez les étudiants en économie, chez leurs professeurs ou dans certains think tanks. La politique se résume désormais à la défense d’intérêt, à la peur de toucher au système bancaire, à la protection des plus riches. Cameron ? Les autres ? Des courants d’air, qui s’occupent prioritairement de ceux qui peuvent leur offrir le pouvoir.

Ce n’est pas déprimant, de s’engager, par exemple auprès du mouvement Occupy et de ne pas voir les choses bouger ?
Occupy, j’ai supporté le mouvement, bien entendu, mais je ne me suis pas réellement, physiquement engagé, je ne suis pas allé vivre avec eux. Je trouve personnellement difficile de se frotter comme ils l’ont fait aux politiques. La chose la plus intéressante du mouvement, selon moi, a été les débats qui ont eu lieu dans la banque qu’ils occupaient : des banquiers venaient participer à la discussion, et étaient souvent d’accord avec ce que les protestataires disaient. Le problème est que même si ces discussions existent, continuent, on n’en entendra jamais parler au Parlement, au Sénat, nulle part. Même si ça changeait, ne serait-ce qu’un minimum, certaines mentalités, ça n’aurait au final aucun impact : personne n’est là pour traduire ça en lois. C’est exactement la même chose pour la question environnementale. A moins de passer des lois, à moins de réellement prendre les choses en main à ce niveau, rien ne change.

C’est un discours très pessimiste : il te reste quand même de l’espoir ?
Il faut toujours lier les problèmes politiques aux questions environnementales. Les deux sont toujours parallèles. La dégradation de la planète est intimement liée au concept de production, de profit, de possession. On ne mesure pas le bonheur en termes de bonheur, on ne le mesure que par ce que l’on possède, ou de la quantité de merde que l’on produit. C’est aussi stupide que ça. Et on le voit tous les jours. On a vu la crise arriver, maintenant on essaie de faire le ménage. Je suis parti d’Oxford ce matin : il y a désormais un petit lac artificiel qui entoure la ville. Et ce n’est rien d’autre que des champs morts, qui ne sont plus capables d’absorber l’eau. Ces choses, on les voit partout dans le monde, en permanence. Mais les sorcières ont lancé leur sort, quelqu’un a volé la substance même de notre esprit et on ne réagit même pas, on n’est même plus capable de se sentir dégoûté. Le sort a été lancé, mais qui sera capable de le briser ? Je n’ai pas la réponse. Une personne unique ne peut pas l’avoir. Quelque chose de fondamental doit changer, mais je ne sais pas quoi.

Le mouvement estudiantin québécois, qui a fini par avoir la peau d’un gouvernement, t’a-t-il marqué ?
C’est une chose de faire tomber un gouvernement, c’est autre chose de faire tomber tout un système… Ils se sont débarrassés de politiques qu’ils détestaient : très bien. Mais les lois dont je parlais à l’instant doivent transcender les questions locales. Les choses ne peuvent se faire qu’au niveau planétaire, et ne pas uniquement s’attaquer aux politiques ; si ce n’est pas le cas, les multinationales continueront de faire ce qu’elles veulent, poursuivront leur chantage global.

La pochette d’Amok est assez sombre, apocalyptique…
Mais il y a un élément humoristique, également. On en a parlé avec Stanley Donwood, on a voulu reprendre les choses là où on les avait laissées avec The Eraser. C’est une bonne manière de créer un lien entre les deux albums, sans avoir à mettre mon nom sur la pochette. Tout ceci vient, à l’origine, des premières formes de “journaux”, au XVIème siècle, qui étaient des gravures. Des objets incroyables, sur lesquels étaient montrés des événements majeurs de l’époque, des catastrophes climatiques, des pendaisons, des batailles, et ce d’une manière extrêmement crue. Cette forme de représentation nous a paru idéale pour dépeindre une sorte de cauchemar, mais d’une manière si outrageuse qu’elle en devient presque un cartoon. Une façon également de dire des choses sans donner l’impression de prêcher.

Tu as travaillé au sein de Radiohead pendant des années, tu as sorti un album solo, et tu te retrouves désormais dans un groupe qui n’est pas Radiohead… Quel effet ça fait, de retrouver un groupe nouveau ? En quoi cela change de Radiohead ?
Je ne sais même pas comment définir Atoms for Peace. C’est un groupe, car nous jouons ensemble sur scène, parce qu’on partage des idées. Mais sur l’album, c’est surtout Nigel et moi qui avons été impliqués, utilisant et éditant les éléments créés en groupe. Dans Radiohead, les choses se passent beaucoup plus collectivement, directement. Atoms for Peace est quelque chose de plus informe, de plus souple qu’un véritable groupe. C’est ce que j’adore à propos du projet, d’ailleurs : je ne sais pas ce que c’est, et je ne veux pas savoir ce que c’est. C’est plus un processus qu’un groupe, un processus que Nigel et moi menons majoritairement. Je lance des idées aux autres, ils y répondent ; nous ne nous voyons assez rarement, Radiohead est parti en tournée, les Red Hot Chili Peppers aussi. C’est assez étrange, d’ailleurs. On a réussi à se croiser il y a quelques semaines, ça m’a presque soulagé “Ah, ouf, il est encore là…” (rires)

Une manière de faire nouvelle pour toi : c’est une excitation dont tu avais besoin ?
Oui. C’est un mélange que j’adore. Un mix étrange entre ce que j’aime dans la dance music, tout en utilisant les compétences très humaines de ces musiciens, techniquement doués, que j’adore. C’est un entre-deux que j’aime, et j’ai l’impression de commencer à peine à l’explorer. J’essaie en permanence de ne pas trop m’engager, de rester dans une certaine forme de minimalisme, pour que ça ne se transforme pas en une sorte de “performance”. C’est sans doute le point majeur de ce projet : réussir à conserver le vide, la mécanique de la dance music tout en essayant de la rendre humaine. Encore une fois, c’est le point majeur mais je ne fais que commencer mes explorations, j’ai l’impression qu’il me reste du chemin pour trouver le parfait équilibre.

Tu ressentais le besoin de changer ton approche de la musique ?
Je l’ai fait pour ce disque. Le projet a été nourri de ce qui se passait pour nous : nous étions en tournée autour de The Eraser, Atoms for Peace a pris racine dans cette énergie particulière, les choses se sont faites naturellement et nous nous sommes retrouvés en studio pendant trois jours, à enregistrer des trucs. Juste pour nous amuser, juste pour capitaliser sur cette énergie étrange que nous avions trouvée, collectivement. J’ai ensuite écrit beaucoup de choses sur cette base : quelque chose d’assez nouveau pour moi.

Comment décrirais-tu cette “énergie étrange” dont tu parles ?
Ca tient en partie à nos personnalités propres, et en partie à l’esthétique particulière sur laquelle, tout de suite, nous nous sommes basés. Nous ne faisions pas de jams, pas du tout. Mais nous suivions, instinctivement, des schémas assez stricts. Quand j’ai pris ces éléments pour écrire la suite, je pensais au début ne me servir que de petits bouts de nos enregistrements. Je me trompais : certaines de ces longues sections initiales se retrouvent presque intactes sur l’album.

Et comment sonnaient ces premiers enregistrements ?
C’est difficile à dire, le processus a été différent pour chacun des morceaux. Mais je me souviens d’un beat assez frénétique, je me disais qu’il était impossible de le prendre comme base pour un morceau, puis soudainement Flea a posé sa basse dessus, et on y était, c’était exactement ce qu’on cherchait. Il humanisait le tout, on trouvait cette balance entre l’organique et le mécanique qui allait faire Atoms for Peace. De manière sans doute un peu bizarre, je pense que le disco a été l’une des premières musiques à chercher et trouver cet équilibre. Elle se basait souvent sur les premières boîtes à rythmes, des batteurs suivant de manière extrêmement stricte des rythmiques synthétiques, mais tout est humanisé par les voix, les arrangements, l’instrumentation. C’est aussi quelque chose que je trouve intéressant dans l’afrobeat. Quand je mixe, il m’arrive d’enchaîner quelques morceaux qui sont du même univers, qui ont à peu près le même son, puis je balance un morceau afrobeat et généralement ça fonctionne parfaitement, ça donne vie à la salle entière : il peut y avoir un groove d’une nature similaire, mais l’être humain tourne autour, en permanence, lui insuffle quelque chose que la pure musique électronique n’a pas.

J’ai lu que tu avais pas mal écouté Fela Kuti ?
Oui. Je connaissais un peu Fela, mais après deux jours à jouer tous ensemble, nous nous sommes retrouvés dans la maison de Flea, un soir. Et dans une pièce, je me suis assis et j’ai cette fois réellement écouté Fela. Je n’ai évidemment pas l’intention de copier l’afrobeat, ce n’est pas mon genre, mais j’ai trouvé des éléments passionnants. Ce dont on parlait à l’instant : ça vient d’une aire géographique lointaine, mais il y a ce souhait d’humaniser le groove que j’ai également. Je trouve formidable la manière dont il pose ses voix, dont il construit ses morceaux. Il marque les temps à l’intérieur du beat, tout en racontant une histoire. J’ai grandi en écrivant des chansons qui n’étaient basées que sur la voix et sur la manière dont je me sentais. Et découvrir un peu plus profondément quelqu’un capable d’utiliser sa voix d’une manière si différente a été une inspiration. Une inspiration qui n’était pas tout à faire neuve, d’ailleurs. Je pense par exemple aux Talking Heads, qui étaient eux-mêmes inspirés par Fela ; sauf que la première fois que j’ai entendu Remain in Light, je n’avais jamais entendu parler de Fela Kuti… Mais c’est là qu’a commencé ma fascination pour cette manière d’utiliser sa voix, totalement opposée à la mienne.

Justement, as-tu changé, pour Atoms for Peace, de philosophie quant à ta voix ?
Pas vraiment, non. Je ne veux surtout pas me forcer, imiter quelque chose, je veux que les choses restent pour moi naturelles. Et c’est ce que nous avons tous voulu : rester chacun dans ce qui était naturel pour nous, même si nous explorions une esthétique particulière. J’ai répondu avec mon chant à ce qui se passait collectivement, je n’ai pas voulu trop y penser. J’adorerais pouvoir raconter des histoires comme le fait Fela, mais ce n’est pas moi, ça n’arrivera jamais. J’ai fait à ma manière, je dois l’accepter, c’est mon instinct

Comment, précisément, décrire la manière dont fonctionne Atoms for Peace ?
Je ne sais pas ! (rires) Je n’en ai pas la moindre idée, je ne sais pas encore ! Et c’est ce qui me passionne, d’ailleurs. Chacun a des idées, les lance aux autres, et on voit ce qui se passe, et les méthodes ou processus ne sont aucunement fixés. En ce moment, par exemple, je travaille sur de nouvelles choses pour Atoms for Peace, mais seul, dans mon coin. Ca ressemble plus à The Eraser, c’est plus minimal, électronique. Je ne sais pas où je vais, je ne sais pas ce que ça donnera quand je présenterai ça aux autres. Cette fois c’est travaillé en amont, réfléchi. Les bases de nos premiers morceaux ont été jetées sans y penser, juste pour voir ce que ça pourrait donner, puis on a construit autour. Quelque chose de très nouveau, pour moi : arriver en studio avec si peu d’éléments… C’en était même un peu intimidant, au début. Les gars me demandaient “Qu’est ce qu’on devrait faire, maintenant ?”, et j’étais là (il déglutit) “Je n’en sais rien !” (rires)

Et humainement parlant, vous avez tous j’imagine des personnalités : comment s’entendent-elles ?
Je ne sais pas non plus. Sincèrement ! Il est encore trop tôt pour le dire… J’essaie non pas de faire de ce projet une sorte de caprice, mais je veux en tout cas qu’il existe pour nous exciter, qu’il continue à être relâché, amusant à faire. Je ne veux aucune pression : c’est une part importante de l’esprit d’Atoms for Peace.

Pourquoi avoir choisi Flea, par exemple ? Le choix ne semble pas évident, au premier abord.
Non, pas au premier abord. Mais je sentais que certaines des basses de The Eraser avaient besoin de lui pour exister sur scène. Et c’était une blague récurrente avec Nigel à propos de mes lignes de basse : il me disait que j’imitais Flea quand je les écrivais, il me disait que Flea devrait les jouer, que ça donnerait Flea imitant Thom Yorke imitant Flea… Ca a fini par arriver : “Pourquoi ne pas essayer de jouer avec Flea ?” C’est assez drôle, au final.

Et travailler avec Nigel ? En quoi ça a été différent des fois précédentes ?
Nous avons évidemment souvent bossé ensemble, on se connaît par cœur. Mais c’est la première fois que l’édition est devenue écriture. Nous avions des tonnes d’éléments, et la manière de les éditer pouvait changer les morceaux du tout au tout. Avec Radiohead, les idées sont naturellement filtrées, selon les prismes de chacun. Cette fois, nous avions tout sur un ordinateur : ce bout, où va-t-il ? Et celui-ci, on en fait quoi ?

C’était une sorte de bordel organisé ?
Complètement. C’est à mettre au crédit de Nigel : lui sait toujours précisément où on en est, il maîtrise le chaos comme personne d’autre. Il sait où sont les éléments, il sait quelle chose peut aller avec quelle chose. Si j’avais été seul, il m’aurait fallu juste 6 mois pour refaire le puzzle (rires).

Tu en as parlé plus tôt, mais au niveau des textes, as-tu tenté de nouvelles choses ?
Pas vraiment. J’ai simplement voulu rester dans l’instinct, et ne pas essayer de donner un sens à tout ce que j’écrivais. Généralement, mes textes arrivent assez tôt dans le processus, notamment avec Radiohead. Puis plus j’avance, plus je les retravaille, plus je me demande ce que signifie cette phrase, ou celle-ci, je me dis qu’il est impossible de conserver ce petit bout qui me semble ne rien vouloir dire. Cette fois, j’ai voulu qu’il reste un petit élément qui provoque le “Hein ?” chez l’auditeur… (rires)

Tu officies de plus en plus souvent en tant que DJ…
Oui, enfin, c’est un grand mot…

 

Tu as une approche spécifique à l’activité ?
(il se marre) Non, pas encore ! Et tout dépend des soirées. J’ai connu des expériences absolument lamentables en tant que DJ, d’autres beaucoup plus satisfaisantes. Le problème est aussi la curiosité des gens, qui viennent me voir plutôt qu’écouter et danser ; je me souviens d’une nuit avec Nigel, pendant une tournée, où les premiers rangs en face des platines étaient pleins de garçons et de filles qui passaient leur temps à nous filmer plutôt qu’à danser… Un peu embarrassant ; j’avais envie de m’énerver et de faire virer tout le monde. (rires) Mais il m’arrive souvent de prendre mon pied. C’est aussi que je n’ai pas toujours envie de parler aux gens : je me planque alors, en soirée, derrière les platines.

 

Tu cherches à exprimer quelque chose de particulier, quand tu mixes ? Tu aimes faire danser les gens ?
Oui, et j’aime partager de la musique avec les gens. J’ai une chance : ne pas être considéré comme un “vrai” DJ, ce qui me laisse un peu plus de marge. J’en ai parlé avec d’autres, eux ont une sorte d’obligation d’efficacité qui ne leur permet pas vraiment de sortir des sentiers battus. Etre DJ est une source de revenus importante pour pas mal de gens : si tu veux gagner de l’argent, tu dois en permanence conserver la salle sous pression, et tu ne joueras pas les choses un peu bizarre, à part, car tu n’as pas le droit de briser l’ambiance. Ca donne d’ailleurs une esthétique souvent ennuyeuse à ces soirées : tout est joué à fond, tout le temps. Ca n’a pas toujours été et ce le cas ; il y a eu des clubs, à Berlin, à Londres, un peu partout, où les patrons s’en foutaient, disaient aux DJ de jouer ce qu’ils voulaient, de ne s’en faire pour rien d’autre. Mais c’est devenu rare. On m’a aussi dit que cette liberté que j’avais pouvait me pousser au caprice : ce n’est pas faux, mais le caprice serait par exemple de faire chier tout le monde en ne jouant que des morceaux psychédéliques imbittables.

 

Est-ce un exercice généreux, ou un exercice égoïste ?
Plutôt égoïste, je pense. Je crois que c’est ce que ça devrait toujours être. Mais c’est un égoïsme relatif : si tu joues quelque chose que les gens n’aiment pas, que l’ambiance s’étouffe, tu le sens aussi, ça ne peut pas te satisfaire. C’est donnant-donnant, il y a quelque chose qui ressemble au live, et c’est plus intéressant que ces DJs qui arrivent, qui montent le son, jouent tout le temps le même beat, prennent leurs sous et s’en vont… Après, certains Dj travaillent tellement dur sur leur set, ils savent ce qui va marcher à la seconde près, c’est aussi, d’une certaine manière, respectable ; et si leur set est parfaitement construit, ils peuvent se permettre, de temps en temps, de sortir un peu des sentiers trop balisés. Le problème est que la culture DJ a pris une importance considérable, quand 95 % de ce qui se fait est de la pure connerie… Tu peux gagner beaucoup d’argent en ne faisant finalement pas grand-chose –je ne devrais pas dire ça, ça va m’attirer des ennuis ! (rires)

 

Et en quoi cette activité de DJ s’est-elle reflétée dans ce que tu voulais pour Amok ?
L’impact a été assez important, en fait. Nigel et moi avons souvent été DJ ensemble. Je ne dirais pas que c’est un album club, il a surtout été influencé par le fun que nous avions en groupe, par le plaisir que nous prenions dans ce chaos organisé. Mais c’était et c’est quand même dans nos esprits. De la même manière que Caribou a fait son album électro sous le nom de Daphni. Il a appris, en tant que DJ, ce qu’il aimait : il aime un morceau qui provoque ceci, il aime un morceau qui provoque cela, et c’est pareil pour moi. Il a appris à maîtriser et à combler, en tant que DJ, un espace qu’il ne maîtrisait pas forcément aussi bien avant. Et il traduit cela avec Daphni. C’est de la dance culture, mais Dan est Dan, c’est Caribou ; à la marge de sa dance music, il y a toujours quelque chose de différent, et d’humain. J’ai pas mal mixé avec lui, à une période, et on partage pas mal de choses.

 

Tu dis qu’Amok n’est pas un album pour les clubs, mais il est influencé par la dance music
Disons que c’est un album plus porté sur une écoute individuelle que collective. Un album à écouter en voiture plutôt qu’en club. Un album à écouter au casque, et qui te permet de danser dans ta tête, ce que je fais en permanence… (rires)

 

The Eraser était assez électronique, Amok l’est aussi, mais les approches sont un peu différentes : que peux-tu m’en dire ?
Je ne sais pas. Ca aussi, ça reste une zone d’ombre. Je pense que la différence entre les deux albums tient justement, comme on le disait plus tôt, à l’équilibre entre électronique et non électronique, entre humanité et non-humanité. C’est formidable d’avoir ces musiciens avec moi pour modifier cette balance, j’aimerais d’ailleurs qu’on travaille plus étroitement ensemble. Mais je suis déjà ravi de ce que nous avons trouvé : c’est un projet ouvert, changeant.

 

Quelle sera, selon toi, la réaction des gens quand ils écouteront Amok ?
Je ne sais pas. Il pourrait y avoir une légère surprise pour certains. J’espère qu’ils seront patients dans l’écoute, qu’ils ne succomberont pas au buzz éphémère, qu’ils se rendront compte qu’il se passe beaucoup de choses, car il se passe beaucoup de choses sur ce disque.

 

Parlons un peu de dance : le clip de Lotus Flower de Radiohead a été chorégraphié par Wayne McGregor. Pourquoi lui, spécifiquement ?
J’avoue que la danse est plutôt le territoire de Phil, c’était sa suggestion. Et avec Merce Cunningham, avec qui nous avions collaboré pour un spectacle à New York, et c’était extraordinaire, c’est le seul que je connaisse. Phil connaît en revanche assez bien le monde de la danse : ça paraît incroyable, non ? (rires) Wayne est quelqu’un qui est très ouvert, il aime travailler avec des gens qui ne sont pas forcément très ouvert à son domaine. Et j’adorais l’idée de subvertir un peu l’idée de vidéo dansée, de m’amuser du fait de ne pas être Beyonce

Mais tu as toi-même une passion pour la danse ?
Oui, absolument. Depuis toujours. Je vais tout le temps dans des clubs, tout seul, depuis que j’ai 15 ans. Danser, dans mon cas, est un acte de méditation, quelque chose d’assez intime. Je ne peux pas m’en empêcher : quand je revois les vidéos de Radiohead, je ne me reconnais pas, je me demande pourquoi je bouge comme ça. Je ne suis pas réellement conscient de ce qui se passe. C’est un besoin physique.

 

C’est une manière d’étendre le domaine d’expression de la musique ?
Absolument, oui. C’est intéressant : on partage quelque chose de collectif et de très spécial avec les gens quand on danse dans un club. Et je préfère largement faire des concerts où je peux voir les gens danser, où j’ai aussi cette impression de partage. Les émotions sont alors, je pense, beaucoup plus profondes, intimes, qui finit par emporter les consciences. Au final, la bonne dance music t’emmène quelque part où tu n’imaginais pas aller. Mais ce n’est pas propre à la musique électronique, aux beats synthétiques : je ressens la même chose en écoutant Arvo Part, par exemple.

 

Penses-tu qu’il existe, chez les gens, un besoin inconscient de danser, un besoin auquel tu pourrais répondre, avec Amok ou tes expériences de DJ par exemple ?
Je suis surpris que la dance music ne trouve jamais sa voie jusqu’aux rues, jusqu’aux radios. Seules les choses purement vocales sont diffusées. On vit pourtant dans un monde très physique, dans un monde très mécanique, et la dance music reflète totalement ça, d’une manière positive. Dans certains cas, danser est aussi, dans un monde où les personnalités finissent par toutes se ressembler, où les individualités s’effacent, de montrer qui on est vraiment, un moyen de se détacher du contrôle social. Et combien de fois, dans une journée, dans une semaine, peut-on se permettre ça ? Les gens sont enfermés dans des réalités dures, répétitives : pouvoir s’en échapper devrait être considéré comme primordial.

 

Que peux-tu me dire à propos de l’enregistrement d’Amok ? Ca a été un processus assez long, non ?
Ca a pris du temps parce que nous nous sommes trop amusés sur d’autres trucs… (rires) On se retrouvait pour bosser, mais on finissait à chaque fois par trouver d’autres activités. C’est au final ce qui caractérise le mieux Atoms for Peace : c’est une expérience fun, relâchée, positive. Ne nous torturons pas. Faisons les choses quand on veut, comme on veut. Je vieillis : je voulais juste m’amuser, apprécier de le faire, ce qui n’est pas toujours le cas quand on fait de la musique et, même si c’est rarement le cas avec Radiohead, les choses peuvent vite devenir complexes, difficiles.

 

Où a-t-il été enregistré ?
Au départ à L.A., aux studios Ocean Way, un peu chez Joey Waronker, qui dispose aussi d’un studio, tout comme Nigel. Mais nous avons ensuite passé pas mal de temps, avec Nigel, à Londres. Enregistrer à L.A. a sans doute eu un impact sur l’humeur du groupe, on peut sans doute l’entendre, d’une certaine manière. Mais de la même manière, se retrouver à Londres, sous la pluie, dans le froid, a aussi joué sur l’ambiance d’Amok


A quoi peut ressembler l’avenir d’un projet comme Atoms for Peace ?
Il ne peut être qu’ouvert : tout le monde a des obligations par ailleurs, il est difficile de réunir tout le monde. Nous allons essayer de nous rassembler pour jouer quelques concerts cette année, il y a ce que l’on prépare avec Nigel dont je parlais plus tôt. On verra, mais je veux que ça continue, même si je ne sais pas sous quelle forme. J’espère que les gens en auront quelque chose à faire, ce serait arrogant d’être certain que c’est le cas. Je parle un peu plus de ce projet que des précédents, des albums de Radiohead ou de The Eraser, car je veux qu’il soit bien compris, ou du moins qu’il ne soit pas mal compris. Atoms for Peace est quelque chose de difficile à expliquer. Je suis conscient de tout ce qui peut se dire sur mes caprices autour de la musique électronique, mais si les gens veulent m’entendre chanter sur une guitare acoustique, les chansons existent déjà, et il m’arrive d’en écrire encore ! (rires)

 

Et Radiohead ? Quels sont les plans ?
Le plan est de nous réunir, un jour. Mais nous nous sommes donnés un an avant de le faire. C’est le premier vrai break que nous faisons, et c’est étrange de se dire ça, car nous n’avons jamais été un groupe très rapide

source site les inrocks http://www.lesinrocks.com/2013/02/07/musique/thom-yorke-linterview-fleuve-11352798/5/

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